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Le Monde de d'Artagnan
17 avril 2012

La ville de Rochefort naît en 1666

Même si l'article est essentiellement consacré au XVIIIème siècle et à la construction de l'hermione, il est bon de se rappeler que la ville de Rochefort est née de la volonté de Colbert en 1666 et que bien souvent, c'est en plongeant dans son passé qu'on invente l'avenir.

Ci-dessous, une série d'articles publiés dans le journal Libération

 

dedartagnan 14/04/12 Editer Brouillon
Hermione: retour sur les débuts du chantier En reconstruisant «l'Hermione», Rochefort a renoué avec son passé maritime. De bois, de sel et de mer. Le reportage de Libération au début de l'aventure, en juillet 1999.

 

10 AVRIL 2012 photos: Philippe Plisson texte: luc le vaillant 0    

Visite d'un bateau en gésine. Visite de l'Hermione, frégate du XVIIIe siècle que Rochefort-sur-Mer reconstruit à l'identique. Visite d'une forêt mise en forme, d'os de chêne en attente de sel. On est à la poupe du navire de 65 mètres qui marque la volonté d'une ancienne ville-arsenal de se rapproprier son histoire, à l'heure où la France ferme ses casernes et ses poudrières. Vue sur une arche de bois, avec des membrures comme un thorax de baleine morte. Sensation d'être un peu Noé n'ayant pas encore sélectionné ses espèces animales; un peu Jonas attendant que le souffle du projet nous recrache. Impression de s'immiscer dans la carcasse d'une grandeur passée et d'un futur difficilement recommencé. Impression d'habiter le squelette d'une défunte splendeur maritime et guerrière sans bien savoir si les logiques patrimoniale, touristique et culturelle suffiront à remettre à flot une ville qui a longtemps décrété qu'un fleuve bourbeux valait bien le grand large. Il fait chaud et spongieux sous la tente de plastique. 80% d'humidité, une hygrométrie constante pour éviter que le bois ne sèche, joue et se craquelle. Les charpentiers viennent de poser le 52e couple sur 62. La coque prend forme. Sur des promenoirs en aluminium, les visiteurs s'agglutinent à 25 francs la visite guidée. Ils étaient 120 000 en 1998, ils seront au moins 250 000 en 1999. Les initiateurs de l'opération s'étonnent presque de cet engouement qui les renforce dans leur envie de faire durer la construction. Au XVIIIe siècle, pressés par les exigences belliqueuses, 400 charpentiers construisaient une frégate en une année. Au XXIe siècle, ralentis par le désir de faire partager, 6 charpentiers vont mettre une dizaine d'années pour en venir à bout. Le choix est stratégique et financier: il ne s'agit pas de se jeter à l'eau, de naviguer le plus vite possible, mais de faire revivre des activités oubliées. Emmanuel de Fontenieu, secrétaire de l'association Hermione-La Fayette, l'explique ainsi: «Le centre de gravité du projet, c'est la construction. Il s'agit de ramener de la vie dans l'arsenal. Et, surtout, il y a le bois. Les gens viennent sentir le bois, toucher le bois, dialoguer avec des ouvriers qui savent encore travailler le bois.»



Rochefort est une ville insensée. Elle a toujours vécu pour et par la mer, sans jamais en voir la première vague. L'Atlantique est à 11 kilomètres à vol d'oiseau et à 22 kilomètres au fil des méandres de la Charente. Et Rochefort n'a le droit de s'intituler «sur-Mer» que parce que les grandes marées viennent péniblement saumurer ses rives paisibles et campagnardes. Au contraire d'Aigues-Mortes ou de Brouage, ce ne sont pas des évolutions géologiques qui ont éloigné le port de Rochefort de l'océan, mais le bon plaisir du pouvoir central.

Rochefort créée Rochefort naît donc en 1666 d'un acte de volonté. Colbert cherche un lieu où implanter un arsenal sur la façade atlantique et donner la réplique à Brest. Les contraintes sont nombreuses. Il s'agit avant tout de se protéger des incursions anglaises ­ le retrait dans les terres y contribuera. Il faut ensuite une rade abritée afin de rassembler les convois de navires marchands ­ la protection de l'île d'Aix y pourvoira. Et, ce qui ne gâte rien, Rochefort la très catholique permet de faire la nique à La Rochelle, la rebelle protestante, située à une portée de mousquet. Reste que le site retenu n'est guère commode: comment bâtir sur des marécages? Il faut maçonner les formes de radoub car tout s'effondre; imaginer une machine à mâter flottante car tout s'enfonce. Et la Corderie royale où se toronnent les amarres et les drisses est sans doute le premier «bateau» construit à Rochefort, car elle s'édifie sur un radeau de bois flottant, selon une technique néerlandaise. Les navires mis à l'eau, les choses ne s'arrangent pas: il faut attendre les grandes marées pour hâler à dos d'hommes vaisseaux et frégates le long de la Charente. Afin de s'assurer une main-d'oeuvre bon marché, on installe un bagne aux côtés des voileries, fonderies, tonnelleries, fabriques de biscuits de mer et autres magasins aux vivres. Ensuite, on s'avitaille en eau à Fort-Lupin, on récupère les voiles à Fort-Vauban, les armes et les boulets à l'île d'Aix. Noria de navettes, charivari de chaloupes. Que de complications! Que d'efforts! Le XVIIIe siècle est le siècle d'or de la ville: 400 bateaux sortent de ses chantiers. Ils sont jusqu'à 8 000 hommes à travailler à l'arsenal. Rochefort se tourne vers le Nouveau Monde: Louisiane, Arcadie, «îles à sucre» (les Antilles). La voilà cité coloniale, vivant des rentes du commerce triangulaire et des pensions des marins de la Royale. Comme si un microclimat tropical s'était abattu sur cette région bien tempérée: on fume de l'opium, on meurt de malaria, on acclimate l'arbre à pain" L'acier, qui remplace le bois, la vapeur, qui succède à la voile, la chaîne, qui démode le cordage, signent le déclin de Rochefort. L'arsenal ferme en 1927. Jean-Louis Frot, maire actuel (divers droite): «Rochefort était axée à 100% sur la vie maritime. Sa raison d'exister a disparu. Comment y survivre?» Grâce à un volontarisme recommencé" Le maintien de diverses garnisons freine la désescalade. L'aéronautique prend la relève de la Navale. Aujourd'hui, il existe des visites couplées des ateliers voisins où se construisent des pièces d'Airbus et l'Hermione. Reste qu'avec le reflux de l'activité maritime, Rochefort-sur-Mer, sous-préfecture de 27 000 habitants, 18% de taux de chômage, est renvoyée à sa schizophrénie. Elle déserte plus encore ce fleuve qui fit sa grandeur, l'abandonnant aux militaires qui n'en ont plus l'usage et se serrant autour de la place Colbert, au coeur de la cité, comme dans un culte nostalgique d'un interventionnisme mangé aux mites par la dérégulation ambiante.

Rochefort retrouvée Dans les années 1980, Frot et son équipe partent à la reconquête. Une rocade doit passer sur les ruines de la Corderie, brûlée par les Allemands et envahie de végétation. Frot met le holà. Dans ce bâtiment long d'une encablure s'installe le Centre international de la mer (CIM), lieu d'expositions et de colloques. Puis intervient la remise au jour des cales de radoub envasées, au modernisme célébré par l'Encyclopédie de Diderot et de d'Alembert. Ne manque plus qu'un bateau pour que revienne l'Atlantique dans la cité de Pierre Loti et des Demoiselles de Jacques Demy. Président du CIM, Erik Orsenna, ancien de l'Elysée, qui, après Paul Guimard, perpétue le souci de Mitterrand le Charentais au pied très peu marin pour le renouveau d'un port de terre, dissèque ainsi cette mélancolie salée: «Toujours présente mais jamais visible, hantant les rêves d'autant plus qu'elle n'apparaît jamais, la mer est le grand amour impossible de Rochefort, le souvenir de l'âge d'or, le regret du large" Rochefort a choisi l'énergie et sa musique: la gaieté. La mer est partie? Eh bien, faisons-la revenir. Les navires ont déserté? On va en construire d'autres.»



Ce sera l'Hermione. Pourquoi? Parce que La Fayette" Les bateaux enfantés par Rochefort sont pléthore à avoir grands destins et belles histoires. Cela aurait pu être les navires de Bougainville, mais il n'y a plus à explorer ni à nommer. Cela aurait pu être des bâtiments napoléoniens, mais trop de morts, trop de sang. Cela aurait pu être la Méduse, mais le radeau" Ce sera donc «le bateau de La Fayette», celui à bord duquel il rejoint les «insurgens» qui mènent la guerre d'indépendance américaine. Eloge de la liberté, droits de l'homme dans l'enfance, premier droit d'ingérence: voilà pour l'actualité oecuménique des références. S'y ajoutent, en douce, le besoin de rappeler à l'Américain ce qu'il doit à la France, le plaisir de faire bisquer l'Anglais, et l'envie d'apprendre à l'Hexagone paysan qu'il n'est pas que des défaites à la Trafalgar, qu'il y a aussi des triomphes comme celui de la Chesapeake. Avec, en prime, la possibilité d'aller tendre la sébile aux Etats-Unis, qui vouent un culte au jeune marquis. Pour les marins, l'Hermione affiche d'autres mérites. Cette frégate emprunte à son oiseau de baptême vitesse et manoeuvrabilité. En temps de paix, ces bateaux surveillent les côtes, protègent les flottes de commerce, servent de courrier et s'improvisent corsaires. En temps de guerre, ils servent d'éclaireurs, de francs-tireurs. Emmanuel de Fontenieu précise: «L'Hermione incarne la meilleure période de l'histoire de la marine, la plus avancée techniquement, la plus glorieuse au combat.» Aux côtés de La Fayette, qui vomit tripes et boyaux pendant la traversée de l'Atlantique, le capitaine La Touche-Tréville a, lui aussi, une sacrée envergure. Fontenieu: «Les frégates sont confiées à de jeunes commandants qui doivent faire leurs preuves. La Touche-Tréville fait montre d'un courage confondant. Il est complètement fondu, passe son temps à se castagner. Trop tôt disparu, c'est le Nelson qui manquera à Napoléon.»

La Fayette et les catamarans La mise en chantier de l'Hermione doit bien sûr à la vogue pour l'ethnologie maritime déclenchée par la revue le Chasse-Marée et célébrée lors des rassemblements de Douarnenez et de Brest. Mais l'Hermione a résisté au reflux de ces dernières années. Allant à son rythme, débitant un budget de 50 millions de francs sur dix exercices, peu pressé de naviguer, préférant faire vivre le site que d'aller croquer de l'écume, l'Hermione a évité les écueils sur lesquels se sont éventrés le port-musée de Douarnenez ou les projets de voiliers de travail qui fleurissaient dans le moindre port de pêche.

Bizarrement, l'Hermione-bis est aussi le descendant des catamarans Charente-Maritime. L'équipe qui mit sur orbite ces premiers projets sportifs régionaux se retrouve au coeur de cette aventure patrimoniale et culturelle. Crise du sponsoring, fatigue du stress du large, ils ont changé leur fusil d'épaule en conservant le souci du développement local. Bénédict Donnelly, actuel directeur de la communication de SFR, préside l'association Hermione-La Fayette et use de sa double nationalité pour aller démarcher les Amériques. Philippe Pallu et ses ingénieurs du Centre de recherche pour l'architecture et l'industrie nautiques (Crain) passent de la conception des bateaux de la Coupe de l'America à la maîtrise d'oeuvre de ce vaisseau d'antan. Jean-François Fountaine, responsable d'un chantier naval, imagine déjà la croisière inaugurale de l'Hermione revisitant sans moteur l'ensemble des hauts lieux chers à La Fayette. Pour l'heure, l'historien et le menuisier en remontrent encore au marin, le maillet et l'herminette volent la vedette au sextant. Il a d'abord fallu retrouver les plans de l'Hermione. Les Français du XVIIIe siècle se contentaient de listes de chiffres, d'abscisses et d'ordonnées pour construire ces bateaux en série préindustrielle. Les Anglais, eux, privilégiaient les plans et établirent ceux de l'une des sister-ships de l'Hermione, après l'avoir capturé. L'historien de marine Jean Thomas s'est lancé dans une enquête quasi policière, de bibliothèques en musées. Il a réussi à fournir aux charpentiers des cotes bien taillées. Spécialistes des cathédrales et des parquets, les ouvriers de l'entreprise Asselin sont passés avec bonheur de la réfection des monuments historiques à l'édification d'un bateau chargé d'histoire. Recherche des «bois tords», courte période de séchage («à l'époque, ils n'avaient pas le temps»), travail du chêne par des ouvriers compagnons du tour de France, pose de la quille, des couples, des membrures. Bientôt les mâts, les voiles. Un jour lointain, la mise à l'eau. Et ensuite? Le maire, tout à son angoisse de ne pas verser dans le passéisme culturel ou le Disneyland marin, imagine un centre de formation aux métiers du bois. Orsenna, lui, discuterait bien avec l'écrivain historien Gilles Perrault d'un spectacle vivant qui démoderait le Puy-du-Fou et franciserait Mystic Seaport, le village maritime recréé sur la côte est des Etats-Unis. Les marins de la bande, eux, se polarisent sur une transatlantique sabbatique aux basques de La Fayette.

Pas à pas, l'Hermione s'essaie à devenir «cette machine à rêver, cette incarnation de l'utopie nécessaire à la revitalisation de la ville» qu'évoque Fontenieu. Bordé après bordé, l'Hermione tente de calfater l'hémorragie de mémoire nautique d'un peuple de laboureurs. Surtout, petit à petit, l'Hermione s'invente comme le voilier symbole d'un port qui finissait par penser que son fleuve rétréci n'allait plus vers la mer.

(Paru le 3 juillet 1999)
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