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Le Monde de d'Artagnan
29 octobre 2011

Le petit journal illustré du 5 novembre 1991

Monsieur Alain Noêl a eu la gentillesse de nous communiquer cet article paru dans le Petit journal illustré:

Voir sur http://cent.ans.free.fr

 

ou bien le lire ci-dessous:

On va élever à Auch, ancienne capitale de la Vasconie, un monument à Artagnan.
Comment, me direz-vous, la France n'est elle pas assez riche en illustrations réelles pour qu'il faille consacrer le bronze et le marbres à des célébrités fictives ? D'Artagnan est une figure populaire, certes; son nom est dans toutes les mémoires ; mais il ne doit cette notoriété qu'à l'imagination et au génie d'un grand conteur. D'Artagnan n'est qu'un personnage de roman.
Eh bien, détrompez-vous ; si la célébrité de d'Artagnan est due surtout au roman fameux d'Alexandre Dumas, le héros des Trois Mousquetaires n'en est pas moins une figure historique. Le grand romancier populaire l'a trouvée toute armée, toute équipée dans les mémoires du temps ; il n'a eu qu'à l'orner des milles fantaisies de son inépuisable imagination.
D'Artagnan s'appelait de son nom officiel Charles de Baatz. Il naquit vers 1623, à Lupiac {Gers), de Bertrand de Baatz et de Françoise de Montesquiou, son épouse, Bertrand de Baatz, issu d'une vieille famille bourgeoise qui s'était enrichie dans le commerce au XVIe siècle vivait en bon petit hobereau dans sa terre seigneuriale de Castelmore.
il semble bien qu'il ait dû laisser péricliter le patrimoine de ses aïeux, à moins qu'il n'ait été un père peu généreux, car il est certain que Dumas n'a rien inventé lorsqu'il nous le montre ne donnant à son fils au moment du départ de celui-ci pour Paris, qu'un vieux cheval et une maigre somme de dix écus, le tout assaisonné de quelques bons conseils.
C'est avec ce mince bagage que Charles de Baatz se mit en route vers l'an 1640. Son père lui avait encore donné une lettre de recommandation pour M. de Tréville ou de Troisvilles, un compatriote illustre, commandant des Mousquetaires du roi Louis XIII, et qui, fort bien en cour, voyait, de ce fait, arriver chez lui tous les cadets de Gascogne en quête de quelque place dans la maison du roi.
Voilà bien les débuts de l'histoire de notre héros, tels que les conta Alexandre Dumas, et tels qu'il les trouva dans les Mémoires de M. d'Artagnan, composés et publiés par Courtilz de Sandras, qui avait été l'ami du fameux mousquetaire.
Vous voyez que, pour commencer son roman, Dumas n'a pas eu besoin de faire appel aux ressources de son imagination.
Les personnages qu'il met en scène sont vrais. Il n'est pas jusqu'à la dispute de d'Artagnan avec un seigneur inconnu, qui, à Meung-sur-Loire, le fit bâtonner et lui vola sa lettre à M. de Tréville, qui ne soit parfaitement véridique. Courtilz de Sandras rapporte en effet qu'en route, le futur mousquetaire eut, avec un M. de Rosnay, une querelle dans laquelle il perdit son cheval sa bourse et sa lettre de recommandation. Ainsi dépouillé, il eut été fort empêché d'arriver à Paris, s'il n'eût, par fortune, rencontré un certain M. de Montigré, personnage riche et généreux qui, sur sa bonne mine, lui prêta quelque argent. Grâce à ce viatique, notre jeune homme put gagner la capitale, s'y loger, s'habiller décemment, et se présenter chez M. de Tréville avec « le plumet sur l'oreille et le ruban de couleur à la cravate. » 
Le roman concorde donc parfaitement en tout ceci avec l'histoire... Mais, m'allez-vous dire, ce nom de d'Artagnan, ce nom magique et qui sonne comme un éclat de clairon, c'est au moins Damas qui l'inventa pour le donner à son héros. Pas même !... Charles de Baatz savait qu'à Paris on raillait volontiers les Gascons pour leurs noms singuliers, « noms à tuer chien », disait Tallemant des Réaux. Il décida donc d'en changer et prit celui d'une terre appartenant à sa mère, la terre d'Artagnan. C'est sous ce nom qu'il fut inscrit aux Mousquetaires ; c'est ce nom qu'il illustra par maintes actions d'éclat. Notre héros avait dix-huit ans lorsqu'il quitta le château paternel. Damas qui, pour les besoins du roman, place cette scène quinze ans plus tôt qu'elle ne se passa en réalité, laisse du moins à son personnage l'âge qu'il avait réellement.
« Figurez-vous, dit-il en traçant le portrait de d'Artagnan, un don Quichotte de dix-huit ans, don Quichotte décorselé, sans haubert et sans cuissards, don Quichotte revêtu d'un pourpoint de laine dont la couleur bleue s'était transformée en une nuance insaisissables de lie-de-vin et d'azur céleste. Visage long et brun ; la pommette des joues saillante, signe d'astuce ; les muscles maxillaires énormément développés, indice infaillible auquel on reconnaît le Gascon, même sans béret, et notre jeune homme portait un béret orné d'une espèce de plume ; l'oeil ouvert et intelligent ; le nez crochu, mais finement dessiné ; trop grand pour un adolescent, trop petit pour un homme fait, et qu'un oeil peu exercé eût pris pour un fils de fermier en voyage, sans la longue épée qui, pendue à un baudrier de peau, battait les mollets de son propriétaire quand il était à pied et le poil hérissé de sa monture quand il était à cheval... »
La silhouette n'est-elle pas d'une parfaite vraisemblance ?
Notre don Quiche s'en fut donc, dès son arrivée à Paris, trouver M. de Tréville, espérant l'intéresser à son sort, bien qu'il eût perdu la lettre paternelle qui devait lui donner accès auprès du chef des mousquetaires. Il trouva l'antichambre du personnage encombrée de Gascons qui lui firent bon accueil.
Or, Dumas, assure que le vénérable seigneur de Baatz avait dit à son fils, entre autres conseils :
« Ne craignez pas les occasions et cherchez les aventures. Je vous ai fait apprendre à manier l'épée ; vous avez un jarret de fer, un poignet d'acier ; battez-vous à tout propos ; battez-vous d'autant plus que les duels sont défendus et que, par conséquent, il y a deux fois du courage à se battre...»
Dès le soir même, le jeune homme suivait le conseil paternel. Il servait de second à l'un de ses compatriotes et mettait son adversaire hors du combat. Le lendemain, nouveau duel contre un garde du Cardinal qui avait traité d'Artagnan d' « apprenti mousquetaire » et qui reçut pour cette insolence trois superbes coups d'épée.
En ce temps-là, une belle estocade suffisait à lancer un homme. Louis XIII, qui ne manquait jamais de se réjouir quand ses mousquetaires sortaient vainqueurs de quelque querelle avec les gens du Cardinal, apprit l'exploit du jeune Gascon. Il le fit venir, le complimenta, lui donna cinquante louis pour s'équiper et autorisa M. de Tréville à le prendre dans sa compagnie.
Notre cadet avait dès lors le pied à l'étrier ; il fit belle carrière comme vous l'allez voir.
Ici, force nous est de négliger la fiction pour suivre l'histoire de notre héros.
Cette même année, d'Artagnan prend part au siège d'Arras et s'y fait remarquer par sa valeur.
En 1644, sous les ordres du comte d'Harcourt, il va se battre en Angleterre pour la cause de Charles Ier. De retour en France, il assiste au siège de Gravelines et à celui de Bourbourg, où il reçoit trois balles dans sa casaque et une dans son chapeau.
Il quitte alors les mousquetaires pour entrer au service de Mazarin. Et le voilà qui fait de la diplomatie. Le ministre le charge de plusieurs missions en Allemagne et en Angleterre dont il s'acquitte à son honneur. Mais le cardinal est chiche ; il paie mal ses serviteurs. D'Artagnan vit à Paris misérablement. Il songe même un moment à abandonner tout espoir d'avenir et à regagner son Béarn natal. La pauvreté de ses ressources, seule, l'empêche de mettre son projet à exécution.
Bien, lui en prit, d'ailleurs. En 1649, Mazarin se décide à récompenser ses services. Il le fait nommer lieutenant aux Gardes. Cinq ans plus tard, d'Artagnan est capitaine au même régiment.
En 1654, notre homme revient à la diplomatie ; il est chargé d'une mission confidentielle auprès de Cromwell. Mais au retour, il reprend son épée ; et, pendant trois ans va se battre presque sans un instant de répit.
En 1659 - d'Artagnan a alors trente-cinq ans - au Louvre, en présence du roi et du cardinal, messire Charles de Castelmore d'Artagnan épouse noble dame Charlotte-Anne de Chanlecy, veuve de messire Jean-Eléonor de Damas.
Union brillante, mais malheureuse. La dame, à ce qu'il paraît, était de naturel jaloux, et son mari lui donna maintes occasions de douter de sa fidélité. Tant et si bien qu'à la fin, Charlotte de Chanlecy lasse des équipées de son volage époux, l'abandonna et se retira dans un couvent.
D'Artagnan, dans l'intervalle, avait quitté les gardes pour revenir aux mousquetaire. Le duc de Nevers, capitaine de la célèbre compagnie, le prit pour lieutenant et se reposa sur lui de tous les soins du service. C'est d'Artagnan qui, chaque jour, prenait les ordres du roi et veillait sur sa personne. Il acquit, de ce fait, à la cour, influence et considération.
Le roi ne sort pas une fois en apparat sans que d'Artagnan caracole à la portière de son carrosse. Lorsqu'en 1660 a lieu la joyeuse entrée à Paris de Louis XIV et de Marie-Thérèse qu'il vient d'épouser, on remarque surtout en tête du cortège, la compagnie des cent vingt mousquetaires, vêtus de la casaque bleue, ornée de grandes croix d'argent à flammes d'or qui finissent en fleurs de lys. D'Artagnan chevauche à leur tête, aussi paré, disent les mémoires du temps, « qu'un autel de confrérie.» Les rubans de son cheval, assure-t-on, n'ont pas coûté moins de vingt pistoles... Le cadet gascon n'en avait pas autant en poche lorsqu'il avait quitté vingt ans auparavant le domaine paternel.
D'Artagnan est chargé de toutes les missions d'honneur et de confiance. C'est lui qui va en Angleterre complimenter officiellement le roi Charles II rétabli sur le trône ; c'est lui encore qu'on charge d'arrêter Fouquet à Nantes et de le ramener à la Bastille. Pour cette seule mission, il reçoit mille louis d'or.
En 1667, il remplace le duc de Nevers à la tête de la première compagnie des mousquetaires avec le grade de brigadier des armées du roi. Nous trouvons l'écho de cette nomination dans une lettre en vers adressée à Madame, le 30 janvier 1667, par le gazetier Charles Robinet.
Robinet,énumérant les dernières décisions prises par le roi, écrit :
 
A la teste des Mousquetaires
Il a mis pour lieutenant
Un de ces preux de maintenant 
Que le sieur d'Artagnan l'on nomme.
 
Et les campagnes succèdent aux campagnes. En 1672, à quarante-neuf ans, d'Artagnan est nommé maréchal de camp. Il eût atteint sans nul doute le grade suprême de maréchal de France, si la mort ne fût venue tout à coup interrompre cette belle carrière militaire.
L'année suivante, au siège de Maestricht, il mena ses Mousquetaires à l'attaque d'une demi-lune avec une fureur endiablée. Après un engagement acharné, les troupes qu'il avait sous ses ordres durent se replier devant des forces vingt fois supérieures, laissant sur le terrain quatre-vingts morts et cinquante blessés. Rentrés dans les retranchements français, les Mousquetaires s'aperçurent que leur capitaine avait disparu. Or, ils avaient pour lui tant d'admiration et d'attachement qu'un certain nombre d'entre eux, bien qu'exténués pas plusieurs heures de combat, retournèrent sur le lieu de l'engagement. Ils retrouvèrent le corps de leur chef et le rapportèrent pieusement au camp. D'Artagnan était mort d'une balle qui lui avait traversé la gorge.
 
***
Telle est la vraie histoire du héros popularisé par le célèbre roman d'Alexandre Dumas. Vous voyez que si d'Artagnan doit sa célébrité plus encore à la légende qu'à l'histoire, ses hauts faits authentiques sont cependant de nature à lui mériter la glorification en place publique.
Au surplus, cet hommage, d'Artagnan l'a reçu déjà à Paris. Allez voir le monument élevé à Alexandre Dumas père sur la place Malesherbes. Sur la face postérieure vous admirerez une superbe figure de mousquetaire : c'est d'Artagnan en personne, sculpté par Gustave Doré. Le grand dessinateur ; qui s'était fait statuaire pour la circonstance, a su mettre dans son ébauchoir, pour faire revivre le fougueux mousquetaire, toute la verve et tout le pittoresque de ses meilleures illustrations.
Le nom de d'Artagnan se trouvera donc bientôt doublement glorifié à Paris et dans le Midi natal de notre mousquetaire, il y a même tout lieu de croire qu'il le sera prochainement une troisième fois, dans le Nord.
Mais il est vrai qu'il ne s'agira plus cette fois du héros d'Alexandre Dumas. Le d'Artagnan dont la mémoire sera célébrée l'an prochain, selon toute vraisemblance, à Denain, est le cousin du mousquetaire, Vaillant guerrier, lui aussi, et maréchal de France, il fut le collaborateur de Villars dans la grande victoire du 24 juillet 1712 qui sauva la France envahie. Et ce sera justice d'inscrire son nom à côté de celui de Villars sur le socle du monument qu'achève en ce moment le sculpteur Gauquié et qui sera érigé à Denain l'an prochain à l'occasion du deuxième centenaire de la bataille.
Ce d'Artagnan s'appelait Pierre de Montesquiou-d'Artagnan . Sorti des pages 1667, il servait d'abord dans les mousquetaires, sous les ordres de son cousin, et fit toute la campagne de Flandre. Puis, pendant plus de vingt ans, il guerroya sans discontinuer en Franche-Comté, en Belgique, en Hollande..
Gouverneur des ville et citadelle d'Arras en 1696, il y forma un régiment qui garda le nom de régiment d'Artagnan. Envoyé ensuite en Flandre, il assita à la bataille de Ramillies et à toutes les rencontres qui eurent lieu contre les Impériaux jusqu'en 1712.
A Malplaquet, le 11 septembre 1709, i1 commandait l'aile droite ; il eut trois chevaux tués sous lui et conquit là son bâton de maréchal.
Villars, qui l'avait vu à l'oeuvre, le réclama comme lieutenant en 1711, lors de la constitution de l'armée des Flandres, suprême espoir de la nation et du roi. D'Artagnan s'y conduisit en chef habile et en vaillant soldat. Sur la foi de Saint-Simon, qui détestait Villars et tenta, dans ses Mémoires, de rabaisser la valeur du chef au profit du lieutenant, certains historiens font même à Montesquiou-d'Artagnan l'honneur de lui attribuer l'idée de la fameuse « manoeuvre de Denain », qui décida du gain de la journée.
Rien ne prouve, d'ailleurs l'exactitude de cette assertion. Villars est bien le vainqueur de Denain ; mais son lieutenant mérite, par son courage et ses talents militaires, d'être associé à l'hommage qui sera rendu l'an prochain à l'illustre soldat qui sauva la France à Denain.
Voilà donc le nom de d'Artagnan triplement glorifié sur la terre de France ; voilà, pour notre temps de pacifisme outrancier, bien des souvenirs belliqueux évoqués !... Ne nous en plaignons pas ; applaudissons au contraire à ces projets. Célébrer la mémoire de ceux qui combattirent pour la gloire et la sauvegarde de la France de naguère, n'est-ce pas le meilleur moyen de nous venger de la lâcheté de certains Français d'à présent ?
Ernest LAUT.
 
Le Petit Journal illustré du 5 novembre 1911

 

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